Rodolphe Coster : "Ma musique ressemble un peu à ma collection de vinyles"

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Comme chaque semaine Pickx braque ses projecteurs sur un artiste belge. Nous sommes donc partis à la rencontre de Rodolphe Coster, un artiste bien connu de l’underground bruxellois, notamment si vous traînez du côté des Marolles. Son premier album ‘High With the People’ est sorti en novembre dernier et promet de vous évader, loin des sentiers battus.

De Pickx

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Bonjour Rodolphe et félicitations pour ton nouvel album. À 46 ans, tu te lances pour la première fois dans une carrière solo. Pourtant tu es déjà bien installé dans l’underground bruxellois, surtout du côté des Marolles, notamment sur la scène du Chaff où tu joues régulièrement. Qu’est-ce qui t’a poussé à réaliser ce premier disque en solo après autant d’années à te produire sur scène ?

Rodolphe Coster : "Bonjour, ce sont surtout des rencontres qui ont amené à l’album. En 2014, j’avais déjà fait une tournée au Japon avec ma musique, des maquettes que je jouais surtout en concert, plus électronique ou plus shoegaze (…). Un moment donné, j’ai aussi été impliqué dans la musique pour la danse contemporaine.(…) On a été programmé dans un festival à Montréal avec les danseurs. J’avais à peu près le même type de set-up lorsque je partais en tournée au Japon, c’est-à-dire mon laptop, des pédales d’effets, une carte son, ma guitare, un micro et tout ça. Je me suis dit alors de monter une tournée à l’arrache aux États-Unis dans la foulée des spectacles à Montréal. J’ai fait Chicago, Los Angeles, j’ai traversé les États-Unis. (…) Et je suis allé à New York où j’avais plusieurs concerts programmés. (…)

À cause d’un problème de dernière minute, je me suis retrouvé sans logement. Antoine de Monolithe Noir, qui a été artiste de la semaine chez Pickx, m’a mis en contact avec un de ses copains. Alexis est français et ingénieur son, il vit à New York. Le gars super gentil, on parle de musique, on a plein de goûts en commun. Je me sens bien avec ce mec. (…) Il vient me voir en concert et il kiffe vraiment ma musique et il m’invite à visiter le studio dans lequel il bosse. Le lendemain, il me présente l’équipe et là j’hallucine, c’est vraiment un studio de ouf. Ça ne rigole vraiment pas ! Ce sont des vieux de la vieille, les gens qui travaillent là ce sont de très grands noms. Dans la musique indépendante, ce sont des noms qui ont travaillé avec le Wu-tang Clan, PJ Harvey, Tom Waits, avec des musiciens indiens, ça va dans tous les sens mais c’est vraiment la très grande classe quoi. On sent qu’il y a une énergie. No bullshit !

Et là Alexis me dit : "tu sais Rodolphe, moi je pense que pour ta musique ce serait intéressant de l’enregistrer en groupe avec des musiciens. Si tu veux on booke le studio, si tu arrives à avoir les moyens". J’y ai réfléchi et j’ai évidemment accepté sa proposition qui me touchait. J’avais donc un projet en solo où j’avais envie de réunir des musiciens américains (d’où le nom Rodolphe Coster and band, ndlr). L’idée c’était donc de virer toute l’électronique, presque toute, sauf sur un morceau, de réenregistrer. Il fallait des moyens pour travailler là-bas, j’ai dû donc bénéficier de subsides, c’est comme ça que ça a démarré."

Tu ne collabores pas qu’avec des musiciens américains. Il y a vraiment une présence d’artistes des quatre coins du monde dans cet album.

R.C. : "Dans ce disque-là tu as vraiment la rencontre entre des artistes japonais et américains et puis moi au milieu. La pochette, par exemple, c’est d'Ukawa Naohiro (un artiste japonais vidéaste, VJ, graphiste, écrivain et curateur, ndlr). Pour moi, elle est très importante cette pochette, elle raconte beaucoup de la personne que je suis alors qu’Ukawa ne parle quasi pas anglais. C’est la première personne qui a cru en ma musique. (…) La première porte d’entrée, c’est cette pochette qu’il a réalisée en écoutant mon disque. (…)

Quand tu écoutes le premier morceau et le dernier morceau, ils sont marqués par la présence d’Atsuko (Hatano, ndlr). C’est probablement, l’une des artistes les plus géniales que j’ai pu rencontrer aujourd’hui, même Matt (Jones, du groupe Male Gaze, ndlr), mon producteur il hallucine. Atsuko, elle n'est pas de notre planète si tu veux, elle vient d’ailleurs. J’ai eu la chance de la rencontrer et d’être devenu l’ami d’une génie vivante. Au Japon, on a joué plusieurs fois ensemble, un coup elle était au violon, à l’alto et au violoncelle. Elle me soutenait beaucoup. Elle est venue avant que l’on enregistre les cordes à Bruxelles.

C’est probablement elle et Takao Kawaguchi que tu as vu dans le clip qui sont des gens qui viennent d’ailleurs qui ont une profondeur d’âme que l’on ne retrouve nulle part. Et ça c’était très important pour moi. C’est inatteignable et comme j’essaie d’être honnête dans mon travail. J’ai envie que ce soit le plus profond possible. Et il y a dans la culture japonaise ce côté-là, de profondeur de vie, de rapport à la mort, que tu n’as nulle part ailleurs."

Sous la signature Rodolphe Coster and band, l’idée est que ton projet reste toujours expérimentale en concert ? On imagine que ça doit être compliqué de regrouper tout ce beau monde pour ta tournée.

R.C. : "Ce projet-là, il est fait pour vraiment vivre absolument partout, même dans la réinterprétation en live. J’ai réfléchi assez à l’avance à la question. Là, par exemple, je vais partir en tournée aux États-Unis et au Canada à partir de la fin du mois d’août, trois semaines et il n’y a que moi qui pars en fait. Et là je retrouve un groupe de musiciens. Même chose au Japon, il n’y aura que moi qui vais partir. Je vais retrouver un groupe de musiciens qu’Atsuko va composer. (…) Pour l’instant on est 17 personnes à avoir participé à l’existence du band. Et il va y en avoir encore plein des gens. 

Avec d’autres groupes auxquels j’ai participé, on répétait une à deux fois par semaine. C’était cool, c’était super, mais avec ce projet-ci, c’est différent. Il s’agit plus d’une expérience en continu. Le plus important : c’est le présent, il n’y a pas de futur quoi. On n’est pas en train de capitaliser quelque chose ou quoi. L’idée c’est qu’il y ait du danger, qu’il y ait des erreurs…"

Le lien social

Tu fais essentiellement de la musique électronique, ici il y a un côté un peu plus rock avec les cordes dans cet album. On est même ravi de découvrir du saxophone. Comment tu définis ton style musical ?

R.C. : "Il n’y a pas moyen de caractériser ma musique. J’aime bien, par exemple, voir que pour Didier Stiers (journaliste au journal Le soir, ndlr) ça lui fait penser à Joy Division ou au post-punk, au shoegaze, à la noise, ou que ça lui fait penser au free-jazz, au rock. Même par rapport à ce que moi j’écoute comme musique, je ne peux pas la définir. (…). Je suis fan absolu de hip-hop East Coast. J’écoute ça la moitié de la semaine. J’écoute aussi de la house beaucoup, de la techno, des groupes de rock des années 90… Ma musique ressemble un peu à ma collection de vinyles en fait. Ça va dans tous les sens.

C’est plus l’énergie qui me parle, quand c’est authentique. Il y a des groupes irlandais, comme Fontaines D.C. ou Gilla Band, ça me parle à fond. Ils vont rechercher des choses, il y a de la littérature, de la poésie, des réflexions sur la santé mentale, des trucs qui moi me touchent très fort, de très près."

C’est-à-dire ?

R.C. : "J’ai arrêté de boire de l’alcool, ça fait sept ans bientôt. J’étais alcoolique, j’ai eu de graves problèmes de santé mentale qui font que je suis allé à l’hôpital. Je me suis soigné, ça a pris du temps. Maintenant, c’est beaucoup plus punk, beaucoup plus drôle, je m’éclate beaucoup plus. Je ne prends plus de drogues, je ne bois plus. La musique et comme d’autres trucs dans la vie comme l’amour sont toujours là. C’est vrai que j’ai ce besoin d’être utile dans la société.

Maintenant, je suis bénévole dans un lieu de liens pour personnes fragilisées psychiquement à cause de traumas comme l’exil ou aux addictions à la drogue et autres. Ce genre d’initiatives me remplissent de vie et il n’y a plus le toxique en fait. Il n’y a plus le produit. Et ce qui remplace le produit, c’est le lien social."

D’où le nom d’album ‘High With the People’?

R.C. : "Le titre de l’album, c’est un RIP d’un très beau discours d’un membre de Black Panthers qui s’appelait Fred Hampton et qui a été assassiné à Chicago, à 21 ans. Je m’intéresse au mouvement des Black Panthers depuis un petit temps, mais cette personne, je suis tombé amoureux de ce gars ! Je n'ai jamais vu quelqu’un d’aussi intelligent si jeune. À 20 ans, il faisait des choses que des politiciens, ici, à 60 ans ne sont pas capables de faire. (…) Il a ce discours où il est vraiment au sommet de son art oratoire et il répète souvent qu’il veut être 'High Off the people' qui veut dire défoncé par les gens. Je trouvais l’expression très belle, je ne voulais pas l’utiliser comme telle par contre, je trouvais ça un peu trop.

Et après je réfléchissais. Rien avoir avec les Black Panthers. Je suis assez fan d’un artiste anglais qui s’appelle Jeremy Deller, là aussi c’est quelqu’un qui a travaillé sur la beauté du moment, du lien pop et social entre les différentes communautés en Angleterre et sur les mouvements sociaux. Il a fait des mises en scène. C’est assez dingue ce qu’il fait. L’expo qui m’a fait découvrir son travail, s’appelle ‘Joy in people’.

J’avais ces deux phrases en tête : ‘Joy in people’ et ‘High Off the people’. Quand j’étais à New York, j’étais bien avec les gens, je me sentais bien, un peu défoncé. J’avais vraiment l’impression d’être en phase avec eux. Puis j’ai écrit 'High With the People' ('Défoncé avec les gens', en français, ndlr). Moi ce qui me défonce le plus c’est le lien, je trouve que c’est ce qu’il y a de plus beau."

'Gilles Memory' est une  chanson écrite pour un ami décédé pendant les attentats. Pourquoi avoir composé ce morceau pour lui ?

R.C. : "Je voulais que sa femme et sa fille sachent qu’il y a un gars à Bruxelles qui pense à leur conjoint et papa. Gilles habitait au Japon, il venait de s’y installer. Je l’avais croisé en bas de chez moi la dernière fois que je l’ai vu. On était étudiant ensemble à l’INSAS. Après son décès, j’étais comme tout le monde hyper choqué. On a un peu le même parcours lui et moi, j’en parle dans la chanson de manière un peu poétique (…).

C’est tellement terrible. Je voulais que sa mémoire puisse exister à travers cette chanson, qu'elle soit passionnelle, et assez énergique et que ça atteigne… Je sais que sa femme est au courant, j’ai une amie japonaise chorégraphe qui est en contact avec elle et qui lui a passé ce message. Je sais que je vais la rencontrer un jour."

Ta musique a souvent été sollicitée par de nombreux collectifs, notamment pour la danse contemporaine. En 2016, tu as même reçu le SABAM Awards de la meilleure composition arts de la scène. Aujourd’hui tu travailles encore sur de tels projets ?

R.C. : "L’année qui vient, j’ai un projet important avec une danseuse. Pendant le covid, j’ai un ami qui est coordinateur dans un atelier d’artistes adultes et jeunes adultes porteurs d’un handicap qui m’a sollicité parce qu’ils commençaient à envisager des rencontres entre les artistes de l’atelier et les artistes qui ne sont pas dans l’atelier. Et donc moi j’étais curieux, et il m’a présenté à une danseuse qui est aussi une artiste plasticienne et qui a 50 ans. Magali Coté est trisomique. Magali et moi, on est devenu complice et amis, mais ça a pris du temps. Ce qui nous a rapprochés ce sont nos points communs. (…) On a un peu souffert du regard des gens sur nos fragilités à un moment et maintenant on n’en a plus rien à foutre du tout.

J’avais déjà dansé professionnellement dans le passé. Avant même de faire de la musique pour la danse, j'étais danseur. Elle aussi elle avait dansé, du coup on s’est dit pourquoi pas se remettre à danser tous les deux. (…) On est en confiance tous les deux. On sait que l’on va vers quelque chose, ça va prendre du temps et ça c’est un projet que l’on tient à coeur, j’y tiens très fort et elle aussi d’ailleurs. On va présenter un spectacle de 20 minutes au mois de mai. Ça c’est le truc qui m’occupe à côté de mon disque, et à coté de mon travail de bénévole auprès de l’organisation ‘Le Delta’, qui est un lieu d’accueil sans condition.


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