“L'affaire Dutroux a eu une forte influence sur notre rapport à l’intimité": 'Petites', le docu de Pauline Beugnies qui réveille les mémoires

Cinéma |

A l’occasion de la projection de ‘Petites’ lors du Mois du Doc, Pickx s’est entretenu avec la réalisatrice carolo Pauline Beugnies. Vinq-cinq ans après l’affaire Dutroux, elle dévoile dans son documentaire des témoignages d’enfants des 90s et livre un morceau de mémoire collective. De l’impact sur l’intime à l’héritage morbide en passant par l’influence médiatique, ‘Petites’ réveille des souvenirs. 

De Pickx

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Tout d’abord, j’ai été surprise de ne voir aucun visage qui témoignent, pourquoi ce choix de ne pas les montrer ? 

Pauline Beugnies : “L’idée était de collectiviser le propos intime, de le rendre plus collectif. Si tu vois les gens témoigner, tu t’attaches à des particularités, ce qui fait qu'ils sont différents les uns des autres. Ici, je voulais qu’il n’y ait que la voix. La voix d’une génération en quelque sorte. Mis ensemble, enregistrés dans les mêmes conditions, et vu comme elles ont été mixées, cela forme comme une seule voix. Toutes les histoires sont particulières et les rapports de chacun à l’histoire sont différentes, mais il y a quand même quelque chose de plus collectif qui en ressort. L'idée aussi est de ne pas comparer ou de hiérarchiser les expériences. Bien qu’il n’y ait pas de comparaison à avoir entre une personne qui a été vraiment directement victime d'un pédocriminel et une personne qui a juste reçu tout ça à distance”

Et d’où vous est venue l'idée de réaliser ce documentaire ? 

P.B.: “J'ai grandi à Charleroi et ma petite sœur a été marquée par les événements beaucoup plus que moi. Je crois que moi, sur le moment, j'étais déjà dans autre chose. Après, évidemment, en faisant le film, je me suis rendue compte que ça m’avait quand même bien bouleversé aussi. Mais sur le moment, ça ne prenait pas autant de place dans ma vie que dans la sienne. Elle, elle a vraiment commencé à avoir des insomnies à ce moment-là. On habitait proche aussi de l'endroit où Julie et Mélissa ont été captives, dans la maison de Marcinelle. 

Au départ, je voulais en faire une installation documentaire et participative. Je voulais que les personnes participent et partagent leurs propres souvenirs. Quand je parlais du projet, ça réveillait toujours chez des gens pas mal de questionnement et de réflexions, et des discussions à n'en plus finir. J'ai d'abord commencé à développer le projet en fiction, ça n'a pas trop marché. Et puis la productrice française m'a dit : ‘Il y a un docu là Pauline, tu dois faire un docu. Quitte à ce que tu en fasses une fiction par la suite, il faut d'abord que tu parles de cette question-là en documentaire”.  Et voilà, c'est pour ça que ça s'est fait”. 

Comment avez-vous trouvé tous ces témoignages ? 

P.B.: “Lors du premier appel à témoins, je suis restée assez vague. Les personnes pouvaient me contacter si elles avaient une histoire à raconter en lien avec l'affaire et qu’elles avaient envie d’en parler. Les gens avaient des choses de dingue à dire. Il n’y a aucun expert qui s’est penché sur l’affaire, mais la compréhension de la manière dont les personnes ont reçu l’affaire à l’époque est assez étonnante et brillante. Je pense que c’est ce recul, après 20 ans, pour certains parents aujourd’hui, qui fait ça. Et puis la société actuelle, notamment avec le mouvement #MeToo a peut-être eu un impact. La réflexion semble avoir évolué davantage et c’est ça qui est génial. Tout le monde avait un truc intéressant à dire. Pour écrire le film et le dossier pour avoir des financements, j'ai interviewé par téléphone une cinquantaine de personnes et je n'arrivais pas à m’arrêter, c’était juste trop passionnant.

Lors d’une première projection privée avec les étudiants en journalisme de l’IHECS, les réactions étaient très intéressantes. Ils avaient entre 20 et 30 ans. Même s'ils n’ont pas été impactés directement par l’histoire, ils ressentent tout de même une sorte d’impact, mais diffus. Et ils étaient super intéressés de voir le film. C’était comme si c'était ceux juste avant eux qui avaient subi le truc de plein fouet qui leur racontait l'histoire, mais pas les adultes. Il y avait un côté de passation direct avec eux, comme s' ils recevaient une sorte d'héritage morbide. Pour moi ce film doit être vu en collectif, ça permet d’avancer et d’en parler. Je tiens au fond à ce qu'il soit vu en salle et qu'il y ait des discussions. C'est positif quand tu te rends compte que tu n'es pas seul à avoir une idée ou une impression”.

Est-ce qu’il y a eu un avant/après l’affaire Marc Dutroux dans notre société ? 

P.B.: “Pour moi, il y a clairement un avant et un après. En Belgique, cette rupture a toujours été liée à l'affaire Dutroux. On pouvait plus sortir et on devait faire gaffe à tout. Je crois qu'il y a aussi une question d'époque. On a montré le film au Canada lors du festival international du documentaire Hot Doc et on a fait notre première mondiale là-bas. Ça m'a étonné car les gens s'identifiaient aussi beaucoup. Ça nous a confortés dans l'idée que le film avait en lui un propos universel. En réalité, à peu près à la même époque, ils ont vécu une histoire similaire de crimes qui touchaient les enfants et qui ont été partout dans les médias. 

C'était aussi la période où les médias couvraient les événements de manière très proche. On n’avait pas encore les réseaux sociaux. Mais, il y avait tout de même ce rapport des médias et tout le monde voyait la même chose. Les gens avaient accès aux mêmes sources. Ce n'est pas comme maintenant où l’on aurait 50.000 sources différentes et 56.000 manières de raconter des histoires différentes. Là, le récit médiatique était assez unique et au Canada, ils vivaient un peu la même chose. Cette manière dont on filmait la vie quotidienne était aussi très différente. C'est donc à ce moment-là que, apparemment, chez eux, il y a aussi eu une sorte de changement. C’était au début des années 2000 et donc peut-être que ça correspond aussi à un changement d'époque plus général. En Belgique, c’est clair qu’il y a un avant/après, même si il n’y a pas eu d’études très précises pour le dire. Ca c’est aussi étonnant, comme l'affaire Dutroux est restée un tabou alors qu'elle a été racontée et re-racontée”. 

L’affaire a-t-elle eu un impact sur la vie intime ? 

P.B.: “En discutant avec un  sociologue en faisant des recherches sur le film, il me disait : ‘on n'a jamais fait d'études. mais ça serait hyper intéressant d’en faire sur l’ impact de cette affaire sur le soin des enfants. Il y avait depuis une paranoïa sur les hommes qui s'occupaient d'enfants. Il avait remarqué que ça avait obligé les femmes à continuer le soin des enfants à la maison. Paradoxalement, c’était une période d'émancipation pour les femmes. 

Et oui ça a eu une influence sur la construction de la sexualité et le rapport à l’intimité de pas mal de femmes et d’hommes. Mon père, par exemple, au moment où ça s'est passé, il avait peur de montrer de l'affection à ses enfants en public. Et peut-être que ses petits garçons n’auront pas non plus cette habitude là à l’avenir de recevoir de l’affection en public. C'étaient les premières histoires liées à un acte sexuel que certains enfants vivaient. Une femme, âgée de cinq ans à l’époque, m’a dit : Moi, j'ai juste compris que ça avait rapport avec le pénis et avec une violence qui pouvait m’être affligée. Chaque fois que je voyais un homme, j'imaginais son pénis. Il y a plein de choses qui ont changé et qui ont basculé. Cette affaire a eu un impact au niveau sociétal. Mais après cela reste une conviction, car je ne suis pas experte”. 

Prévoyez-vous une suite à ce documentaire ? 

P.B.: “La question qui se pose à la fin du film, c'est celle du monstre. Elle montre la construction médiatique de Marc Dutroux en monstre qui a complètement fonctionné. Parce que beaucoup de gens ont eu peur et se sont planqués. Je ne dis pas que les journalistes ont fait ça consciemment, mais c'est juste très intéressant parce que du coup, ça balaye les autres questions : ‘C’est  seulement le monstre qui peut te faire du mal, c'est pas l’ordinaire’.

Cette question-là, on va la creuser dans un podcast qui s’appellera ‘Les monstres n’existent pas’. Et on suivra avec cette idée des violences sexuelles faites contre les enfants dans les perspectives de l’affaire Dutroux en Belgique”. 


Le documentaire ‘Petites’ sera projeté ce 7 novembre à Charleroi au centre culturel Quai 10, et à Bruxelles le 8 novembre au Cinéma Galeries et le 24 novembre au CineFlagey. Le mois du doc se déroule du 1er au 30 novembre. La programmation 2022 compte quelque 90 documentaires pour 120 projections dans des salles de cinéma, des centres culturels ou encore des bibliothèques. Retrouvez ici toute la programmation.

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