Essor des ligues franchisées : l’e-sport devient-il pay-to-win?

De Proximus

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Fin du mois de juin, une page d’histoire s’écrivait sur la scène professionnelle de League of Legends. Souvenez-vous, Schalke 04 vendait sa place dans le championnat européen (LEC) à la structure Team BDS pour la somme folle de 26,5 millions d’euros. Loin d’être le premier accord du genre, ce dernier soulève soulève tout de même des questions sur l’esprit sportif des ligues e-sportives franchisées.

Le rachat par l’équipe BDS de la place de Schalke 04 soulève une fois de plus des questions sur les énormes sommes d’argent impliquées dans les franchises, et sur la question de savoir si les esports doivent prendre le chemin des sports traditionnels. Mais avant d’essayer de répondre à ces questions, expliquons exactement comment fonctionne une ligue franchisée.

Qu’est ce qu’une ligue franchisée ?

Une ligue franchisée est composée d’un nombre spécifique d’équipes, dans laquelle chaque structure représente une franchise. Dans les sports traditionnels, ces structures représentent un lieu, généralement une grande ville. C’est également le cas dans l’Overwatch League. De cette façon, des rivalités sont créées avec des équipes d’autres villes. Des rivalités qui durent, car il n’y a pas de promotions et de relégations : fonctionnant en circuit fermé, les clubs franchisés ne courent pas le risque de devoir quitter le championnat. Ce n’est que lorsqu’un club décide de se retirer qu’il peut trouver un acheteur et vendre sa place au plus offrant. Ce fut le cas à la fin du mois de juin, avec la vente du slot LEC de Schalke 04.

Les ligues de franchise en elles-mêmes ne datent pas d’hier. Le concept a été introduit à la fin du XIXe siècle avec la création de la National League, la première ligue de baseball nord-américaine. Le franchisage s’est avéré être une recette gagnante, et a rapidement été adopté par beaucoup de fédérations sportives américaines. La NHL (hockey sur glace), la NBA (basket-ball) et la NFL (football américain) sont maintenant toutes structurées de cette manière. Même la MLS, la ligue de football nord-américaine, ne dispose pas de promotion ou de relégation des clubs. Vous l’aurez compris, du côté outre-Atlantique, les ligues franchisées sont reines.

La NFL est la ligue la plus rentable au monde (© NFL)

En Europe, les ligues sportives généralement sont organisées de manière très différente. Beaucoup travaillent encore avec un système basé sur les résultats sportifs, et ce même dans les sports importés d’Amérique. Les équipes les plus performantes sont promues dans une division supérieure, les moins performantes sont reléguées à un niveau plus bas. L’accent est donc davantage mis sur les performances sportives. Ce système offre également la possibilité aux nouveaux clubs de gravir les échelons. En Amérique, c’est impossible.

L’essor des ligues e-sportives franchisées

Il suffit de voir la récente controverse autour de la Super League pour comprendre les retombées d’un franchisage. La Super League devait être un championnat de franchise regroupant 12 clubs européens. Le président de la Juventus, Andreas Agnelli, l’une des forces motrices du projet, se plaint depuis des années que les revenus de la Ligue des champions sont nettement inférieurs à ceux des ligues de franchise comme la NFL. C’est cette frustration pécunière qui est à l’origine du concept de la Super League. Grâce aux fortes protestations des supporters, la plupart des clubs ont fait marche arrière, mais le ton a été donné.

L’annonce de la Super League n’a pas été accueillie avec enthousiasme par la communauté. ( © The Super League)

Le franchisage est également un phénomène en hausse dans l’e-sport. Call of Duty, Overwatch et League of Legends font partie des licences les plus célèbres qui ont décidé d’utiliser ce système pour leur compétition majeure. Sur CS:GO, des organisateurs comme ESL et BLAST gardent des places dans certains tournois pour les équipes dites partenaires, qui ont acheté à l’avance. Au début de cette année, BIG s’est assuré une place dans BLAST Premier grâce à un investissement de plus d’un million de dollars. Ubisoft (Rainbow Six Siege), Riot (Valorant) et Psyonix (Rocket League) envisageraient ou ont envisagé de se lancer dans les franchises.

La franchise devient donc de plus en plus populaire, tant dans les sports traditionnels que dans le milieu e-sportif. Mais ce système est-il vraiment meilleur que le système classique de promotion et de relégation ?

Une garantie financière

Pour les organisations engagées, le principal avantage de la franchise est la garantie de disposer d’une source de revenus stable. Comme les équipes n’évoluent pas avec le risque d’une possible relégation en cas de mauvais résultats, les organisations sont en mesure de conclure des accords à long terme, souvent préférés par les potentiels sponsors. Cette garantie représente une valeur énorme pour les investisseurs potentiels. La professionnalisation de l’esport ne fait que commencer, et les équipes sont le plus souvent déficitaires. Dans cette situation, tout apport régulier d’argent est le bienvenu.

Mais les avantages ne vont pas que dans le sens des organisations, certains profitent aussi aux joueurs. La professionnalisation amenée par les franchises permet aussi de donner plus de sécurité aux joueurs. Dans l’Overwatch League, par exemple, un salaire minimum de 50 000 dollars a été introduit. Les organisations sont également tenues contractuellement de fournir un logement, une assurance maladie, l’accès à des centres de formation et des droits à pension à leurs e-sportifs. De telles garanties ne sont possibles que dans une ligue franchisée.

En outre, la valeur des places dans les ligues franchisées reste généralement stable, voire augmente. Reprenons l’exemple de Schalke 04 : en vendant sa place dans le LEC, l’organisation a réalisé un bénéfice de plus de 20 millions d’euros en seulement trois ans. Un retour sur investissement dont les entreprises d’autres secteurs ne peuvent que rêver, sans parler des organisations e-sportives sans franchise.

Des coûts d’entrée élevés

Le principal inconvénient du système de franchise est le coût d’entrée élevé. Si la décision de Schalke 04 est unique – c’est la première vente d’un slot depuis la création du LEC – ce n’est pas un phénomène rare dans League of Legends, ni même dans l’e-sport en général. En fait, une transaction encore plus coûteuse a eu lieu en 2019. À l’époque, la place en LCS, le championnat nord-américain d’Echo Fox a été vendu à Evil Geniuses pour la somme astronomique de 33 millions de dollars.

Et si les places dans les ligues du jeu de Riot Games semblent bien chères, elles ne sont pourtant pas un cas isolé. Selon une source du Washington Post, une place dans la Call of Duty League aurait coûté près de 25 millions de dollars à son potentiel acheteur en 2019. Un prix bien trop élevé à l’époque, même pour le fondateur de 100 Thieves, Matt “Nadeshot” Haag, l’une des personnalités les plus populaires de l’univers Call of Duty. L’homme d’affaires semble cependant être revenu sur sa décision, s’offrant un slot lors de la saison suivante, et renommant son équipe sous le nom des LA Thieves.

Lors de sa création, les places dans l’Overwatch League n’étaient pas non plus bon marché. Activision-Blizzard avait facturé 20 millions de dollars par spot. La ligue a commencé avec 12 équipes en 2018, et a été élargie de 8 places supplémentaires en 2020. Activision-Blizzard voulait faire passer l’Overwatch League à 28 équipes au total, un projet avorté en raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19. Les places de l’Overwatch League ont à eux seuls rapporté 400 millions de dollars à l’entreprise, des chiffres qui ont sans aucun doute fait le bonheur des actionnaires.

TITRE

Un autre inconvénient du franchisage réside dans le fait qu’un seul acteur du milieu détient toutes les clés. Dans le cas des jeux, il s’agit du développeur lui-même. Lors de la vente du spot de Schalke 04, le club de football a dû travailler avec Riot tout au long du processus. C’est bien évidemment le studio californien qui a eu le dernier mot sur l’équipe qui serait autorisée à prendre la place de Schalke 04. Pour eux, il est évident que l’aspect commercial est au moins aussi important que la performance sportive. De nombreuses organisations sont ainsi exclues de la possibilité de concourir pour des prix sur la scène principale.

Dans le cas de S04, beaucoup de membres de la communauté voyaient une équipe comme la Karmine Corp, victorieuse en LFL et en European Masters, reprendre le slot, de par sa capacité à réunir une immense fan-base derrière elle. Un raisonnement qui s’éloigne visiblement de celui de Riot Games.

Le plus gros problème dans ce type de système est sans aucun doute la circulation des talents. Dans des jeux comme Rocket League ou CS:GO, les joueurs et les équipes, aussi inconnues du grand public soient-elles, peuvent se frayer un chemin jusqu’au plus haut niveau de compétition grâce à des qualifications ouvertes. Une évolution impossible dans les championnats franchisés comme ceux de Call of Duty et Overwatch. Activision-Blizzard a essayé de compenser cette perte avec la “Contenders League”, composée d’organisations semi-professionnelles et d’équipes d’académie des franchises. Une initiative couronnée d’un succès en demi-teinte.

Blizzard tente d’attirer les spectateurs avec des skins exclusifs. (© : Blizzard)

En effet, cette deuxième division se débat avec de faibles audiences et de petites cagnottes. De plus, les équipes du haut de tableau ne peuvent pas forcer la promotion et sont complètement dépendantes de ce qui se passe dans la ligue supérieure. Il est donc extrêmement difficile pour un nouveau joueur de faire carrière. Ces talents seront plus enclins à passer à un autre esport, plus accessible, sans franchise.

Il est donc difficile de dire si les ligues franchisées sont la solution idéale pour l’e-sport. La garantie d’une source de revenus pour les organisations et les garanties financières pour les joueurs sont sans aucun doute des avantages majeurs. Mais la question de savoir si cela compense l’impact sur l’aspect sportif et le flux de talents reste sans réponse. Chaque développeur disposant d’un écosystème compétitif sur l’un de ses jeux devra faire cette évaluation par lui-même. Ils ne savent que trop bien qu’il ne suffit pas de copier les sports traditionnels, et que la popularité de leur jeu peut disparaître comme neige au soleil suite à une mauvaise décision.

Copyright visuel : Leaguepedia

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