“Les rêves de chacun viennent façonner ses murs” : le docu Dreaming Walls ouvre les portes du mythique Chelsea Hotel

Cinéma |

Les réalisatrices Maya Duverdier et Amélie van Elmbt nous plongent dans l’univers complexe et artistique du mythique Chelsea Hotel à New York. La fin d’une ère se fait sentir parmi ces murs en travaux depuis 10 ans. Hotel de luxe en devenir, une cinquantaine de locataires y vivaient encore fin 2019. Entre rêves, nostalgie et résistance, le film reflète de nombreuses actualités de notre époque. 

 

De Pickx

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‘Dreaming Walls’ sort ce mercredi au cinéma en Belgique et est diffusé en salles dans le cadre du Mois du Doc.  Comment s’est déroulée la genèse du projet ?

Maya Duverdier : “Amélie et moi, on est amie de très longue date et l’univers du Chelsea Hotel, on se le partageait déjà depuis quelque temps. On a lu ‘Just Kid’ que je lui avais offert à l'époque. Il y a quatre ans, en 2018, j'accompagnais Amélie qui présentait son film ‘Drôle de Père’ à Tribeca, à New York, et elle m'avait gentiment invité. Il se trouve que l'hôtel était dans la même rue que le cinéma, à 500 mètres. En se baladant, on est tombé nez à nez avec l'hôtel qu'on reconnaît évidemment malgré les échafaudages qui le cachaient. On décide de rentrer par curiosité et pour pénétrer un peu le mythe. Et là, on découvre la réalité de l'hôtel aujourd'hui, à savoir qu'il est en travaux, qu'il se transforme en hôtel de luxe. Et on rencontre notamment Merle, la chorégraphe qui est la première personne qu'on a rencontré et qui nous explique un peu la situation de l'hôtel et aussi qu'il est habité par 50 personnes. Elle explique aussi qu’il y a un conflit à l'intérieur de l'hôtel. Le projet a démarré avec elle et on a noué une relation très forte. On a commencé à la suivre dans cet environnement et, petit à petit, à rencontrer d'autres personnes. Le film s’est tissé un peu comme ça”. 

Comment ça s'est présenté avec les résidents quand vous avez abordé l'idée de faire un documentaire là-bas?

Amélie van Elmbt: “ Quand on a eu l’idée du documentaire, on était plutôt en train de filmer Merle. C'est plus les gens qui sont venus vers nous. On n’a pas vraiment été taper aux portes pour leur demander de faire partie du film. Ça s'est fait de manière très naturelle. Donc ceux qui n'ont pas voulu nous voir ou qui n'ont pas été intéressés, on n'a juste pas fait le film avec eux. On n'était vraiment pas dans l' idée de faire un film sur l’Hotel Chelsea, mais plutôt d’y être nous aussi, en tant qu'artiste, de rencontrer des personnes qui y vivaient et qui y créaient. C’est comme ça que les choses se sont mises”. 

M.D. : “On a compris la complexité du lieu en fonction des rencontres. Évidemment lorsqu’on rencontre Merle, on a vraiment sa vision à elle et c’est ce qui nous a motivé au départ. Et plus on rencontrait du monde, plus on comprenait que l’Hotel c’est surtout des divergences de points de vue et de façons de se raconter cet endroit. On a tous notre propre façon de se la raconter. Et c'est ça qui est beau, c'est la pluralité des regards. C’est ça qui fabrique l’endroit. Ce sont les imaginaires de chacun. C’est pour cela qu’on a appelé le film ‘Dreaming Walls’, parce que c'est un peu tous les rêves de tout le monde qui viennent façonner ses murs”. 

Pourquoi se concentrer davantage sur le moment présent de ce lieu emblématique ? 

A.v.E.: “Le film c'est un peu un voyage. On profite du temps présent qui est figé pour l’histoire de l'hôtel, un temps où il y a une suspension. On voulait justement brouiller les temporalités et voyager à travers les époques. Pour nous, les artistes du passé ont autant d’importance que ceux du présent. On voulait mettre tout le monde sur un pied d'égalité et traverser l'histoire de l'hôtel comme ça, de manière assez ludique". 

M.D. : “Il y a eu beaucoup de films qui on été fait sur le Chelsea et qui se concentrent beaucoup justement sur les grands noms et les histoires croustillantes. C’est vraiment quelque chose qu'on n'avait pas du tout envie de faire. Pour nous, le présent de l'hôtel était tellement fort et racontait tellement quelque chose de notre société. Et les gens qu'on y a rencontré nous ont tout de suite donné envie de les filmer. C'est pour ça que le passé apparaît comme ça, de manière assez subtile. C'était aussi pour donner la place à ceux qui ne sont pas souvent filmés ou qui sont dans l'ombre des grands noms”.

Comment était l’atmosphère lorsque vous y étiez ? 

A.v.E.: “C’était assez trash pour dire la vérité parce que déjà, quand on arrive, ça fait dix ans qu'ils vivent dans des travaux permanents. Je pense que même si Merle connaît tous les ouvriers et qu'elle est amie avec, c'est vraiment très dur. Tout le monde devient un peu fou après dix ans de travaux. On parle de marteau piqueur, on parle de grues. On n'est pas dans des petits travaux. C’était quand même vraiment énorme. Donc l'ambiance était assez intense et chaotique. Même pour nous qui avions l'autorisation de filmer, c'était difficile de trouver notre place. C'était difficile aussi de savoir jusqu'où on pouvait aller. C'était vraiment une période de crise pour l'hôtel dans ces derniers moments avant le passage vers l'hôtel de luxe. On sentait qu’il y avait encore tellement de résistance et les ouvriers étaient tout le temps là. C'est très spécial”. 

M.D. : “Mais ça nous a servi parce que c’était tellement le chaos que nous, dans le chaos, on passait parfois inaperçues. On s'est un peu servie de ça pour filmer où on voulait et à des endroits où l'on n'avait pas forcément le droit de le faire”. 

Aujourd’hui, qu’en est-il de l’Hotel Chelsea et de ses résidents ? 

A.v.E.: “C’est un hôtel de luxe qui coûte entre 500 et 1000 $ la nuit en fonction de la chambre que tu prends. Et donc t'as quand même les résidents qui sont restés parce qu'ils sont protégés par la loi de New York des loyers protégés, donc eux sont toujours là. Comme les  derniers survivants d'une époque, comme les derniers représentants. Mais l'hôtel est vraiment devenu impayable. Et puis, il n’y a plus que des artistes riches ou des touristes riches qui y viennent. Il n’y a plus du tout cette possibilité de trouver une chambre pour créer”. 

M.D. : “Depuis la sortie du film, il y a deux des résidents qui sont décédés. On a tout de même pu le montrer aux autres en petit comité avant de le voir au cinéma. Ils étaient heureux et on a pu partager un super moment avec eux à New-York quand on a présenté le film en festival”. 

Comment s’est passée la réalisation de ce film? 

A.v.E.: “Elle a duré quatre ans. On a fait des allers-retours et on restait plus ou moins 2 à 3 semaines par voyage. Maya et moi on y allait seules et parfois avec une équipe. Au début, on était que toutes les deux. Ensuite, on est revenu en tournage. En tout, on y est allé presque 3 mois d'affilée. Il y a également une partie pendant le covid que l’on a fait à distance et les équipes techniques étaient là, mais pas nous”. 

On voit des images d’archives dans le documentaire. Etait-ce difficile d'y accéder ?

M.D. : “C’était une longue quête qui a duré presque jusqu'au bout du montage. On a reçu des archives jusqu'à la fin. Il y avait aussi des questions d’autorisation qu’on recevait parfois un peu tard. Ou il fallait beaucoup batailler aussi. C’était comme une chasse au trésor, parce qu'on est tombé sur des choses vraiment magnifiques. On a vraiment ratissé large dans le sens où on voulait des archives de gens pas connus et évidemment de gens un peu plus reconnaissables. Mais on avait envie d'archives qui puissent vraiment se mêler au temps présent et qui racontent la vie quotidienne de l'hôtel dans le temps. Que ce ne soit pas uniquement des stars. On est allé les chercher à la fois chez des résidents, mais aussi avec l’aide d’une archiviste américaine qui a beaucoup travaillé avec nous. C’était beaucoup de sources diverses et variées”.

Et dans toute cette aventure, quel a été votre moment le plus marquant sur place? 

A.v.E.: “Pour moi, c'était plutôt des rencontres marquantes. En particulier celle avec Bettina, le dernier personnage du film, qui est une femme hyper puissante. C'était un moment pour moi où je me questionnais beaucoup sur ma place en tant que femme artiste dans le milieu du cinéma. Je suis maman et elle fait le choix de consacrer sa vie à son art et elle l'assumait super bien et en parlait très très bien. Moi, elle m'a vraiment bouleversée parce qu'elle n'a jamais rencontré le grand public. Elle avait du mal à se faire accepter dans les galeries en tant que femme dans les années 60 à New York. C'était pas évident, surtout qu'elle avait un caractère assez trempé. Et pourtant, elle a une œuvre qui était à Arles cet été et qui est reconnue par tout le monde. A l'époque, elle n'a pas été mise sous les feux de la rampe et elle s'est dit tant pis, c'est pas grave, je continue à créer. Elle a fait une œuvre monumentale. C’est impressionnant quand tu rencontres quelqu'un qui a vraiment porté toute son œuvre toute sa vie. On sent tellement de sacrifices, mais elle n’en est pas triste. Elle en est fière et elle se dit plus forte et puissante alors qu'elle est toute courbée. Enfin, je trouve ça assez exceptionnel. Moi, ça m'a fait beaucoup de bien en tant que femme, de rencontrer quelqu'un qui parle de ça de cette façon”.

M.D. : "C’est vrai que c’est les rencontres et la complicité que l’on a créé durant le film qui m’ont beaucoup apporté. Ce qui m’a particulièrement touché, c'est la confiance qu’ils ont eu envers nous. Et cette capacité aussi à s'éveiller, à créer avec nous et à s’ouvrir, ça n'a pas de prix et ça se passait beaucoup  dans les à côtés”. 



'Dreaming Walls' est à voir dès aujourd'hui en salles à travers la Belgique francophone dans le cadre du Mois du Doc (1er au 30 novembre). Les séances de 'Dreaming Walls' et la programmation complète sont à voir sur le site de l'évènement

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