Le navire en perdition de Blizzard Entertainment

De Proximus

Partager cet article

La semaine dernière, l’État américain de Californie annonçait des poursuites envers Activision Blizzard pour discrimination et harcèlement sexuel. Il s’agit d’un énième revers pour le développeur de jeux autrefois adulé. Mais où exactement les choses ont-elles mal tourné ces dernières années ? Pour vous, on a tenté de trouver des pistes de réponse.

Le procès intenté à Activision Blizzard est le résultat d’une enquête de deux ans menée par le département californien de l’emploi et du logement équitable. Les accusations sont graves, et portent sur une possible discrimination et un harcèlement sexuel exercé à l’encontre des employées. Les dirigeants sont particulièrement visés : ils sont accusés d’avoir systématiquement omis d’intervenir et de mettre un terme à ce comportement. Le rapport écœurant, mais excessivement détaillé, du procureur laisse peu de place au doute.

Par exemple, le concept de “cube crawls” est cité : les employés masculins buvaient “de grandes quantités d’alcool tout en se comportant de manière inappropriée envers les employées”. Des blagues sexuelles seraient systématiquement faites devant les femmes, y compris des viols.

Les allégations ne sont donc pas à sous-estimer. Ce procès est l’un des plus difficiles de l’histoire du jeu et a déjà causé des dommages irréparables à la réputation d’Activision, et de sa maison-mère Blizzard. Depuis la publication de l’affaire, leurs comptes de médias sociaux sont restés étonnament silencieux. Ce chapitre est un nouveau coup bas dans l’histoire de Blizzard Entertainment, autrefois le chouchou de la communauté des joueurs. Mais comment a-t-o pu en arriver là ?

Le chemin vers les sommets

Blizzard a été fondé en 1991, mais ne s’est fait connaître qu’à partir de 1994, année de la sortie du jeu de stratégie en temps réel (RTS): Warcarft : Orcs & Humans. Les années suivantes ont vu une succession de sorties réussies : Warcraft II, Diablo, StarCraft et le logiciel révolutionnaire Battle.net, qui a fait du jumelage de comptes en ligne un jeu d’enfant. StarCraft est devenu le jeu PC le plus vendu de l’année 2000 et est devenu l’un des piliers de la première communauté esports.

Un tournoi Starcraft en Corée du Sud (© Wikimedia Commons)

Mais les jeux les plus importants de Blizzard étaient encore à venir. En 2002 sort Warcraft III, considéré comme l’un des meilleurs jeux RTS de tous les temps. Le jeu aurait un grand impact sur le développement des futurs jeux de stratégie. Warcraft III est apparu avec l’éditeur de monde, qui permettait aux joueurs de créer leurs propres cartes et le personnaliser grâce à des mods. Le mod à l’origine de DOTA, par exemple, a été réalisé avec cet éditeur. Deux des sports électroniques les plus populaires, League of Legends et DOTA 2, n’auraient donc sûrement jamais existé sans Blizzard.

Avec la sortie de World of Warcraft en 2004, Blizzard devient instantanément l’un des plus grands développeurs au monde. Le jeu a révolutionné le domaine des MMORPG et rapporte à la société plus d’un milliard de dollars par an. Grâce au succès gigantesque de World of Warcraft, le développeur passe de 400 employés en 2004 à 1600 employés en 2006, faisant constamment grossir l’entreprise.

Shadowlands, la dernière extension de World of Warcraft (© Blizzard)

Cette croissance explosive n’échappae pas aux autres entreprises du secteur. En 2008, Bobby Kotick, PDG d’Activision, obtient gain de cause et la fusion entre les deux entreprises est finalisée : la nouvelle société prend le nom d’Activision Blizzard. StarCraft II apparait deux ans plus tard et établit une nouvelle norme pour les jeux RTS et les sports électroniques en général. La fusion semble clairement être le début d’un nouvel âge d’or. Mais peu après, les premières fissures apparaissent dans la success story.

Des problèmes au paradis

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le succès de StarCraft II fut un coup de projecteur sur le genre RTS. Le jeu devient rapidement l’esport le plus populaire au monde et fait office de figure de proue dans la professionnalisation du secteur. Mais le jeu perd de plus en plus de fans avec la montée en puissance des MOBA comme League of Legends et DOTA 2. En 2018, Blizzard donne un nouveau souffle à StarCraft II en rendant le jeu free-to-play, mais la licence peine à revenir au même niveau que celui atteint à ses débuts.

Dans le même temps, Blizzard travaille également d’arrache-pied au potentiel successeur de World of Warcraft. Dans cette optique, Titan est créé en 2008 et a pour but de catapulter les MMORPG dans le futur. Plus de 100 développeurs travaillent sur cet énorme projet pendant des années, mais ne réussissent pas à se mettre d’accord sur leur vision du jeu. En 2013, la décision est prise de fermer le projet Titan pour de bon. Jeff Kaplan et quelques développeurs ont alors l’idée d’utiliser les actifs restants pour un jeu de tir basé sur des classes : Overwatch est alors né.

Jeff Kaplan (©: Blizzard CN)

Overwatch apparait à une époque où beaucoup s’interrogent sur l’avenir de Blizzard. Des sorties comme Diablo 3 et Heroes of the Storm n’ont pas le succès escompté par la société. Hearthstone devient un phénomène et rencontre un succès relatif, mais n’est à l’époque qu’un projet parallèle avec une cinquantaine de développeurs. Le studio se retrouve avec le besoin criant d’une nouvelle licence, faisant office de vaisseau amiral. Heureusement pour Blizzard, Overwatch rencontre un large succès, avec plus de 10 millions de joueurs uniques dans le mois suivant sa sortie. L’Overwatch League est immédiatement créée pour mettre le jeu sur la carte en tant qu’e-sport. Le studio profite donc de la sortie du FPS pour faire taire le nombre croissant de sceptiques.

Malgré le succès d’Overwatch, l’entreprise continue à se débattre avec des problèmes internes. De plus en plus de vétérans de Blizzard décident de quitter l’entreprise. Chris Metzen, à l’origine des projets Starcraft et Warcraft III, part à la recherche d’autres opportunités quelques mois après la sortie d’Overwatch. Ben Brode, directeur du jeu Hearthstone, tourne lui aussi le dos à Blizzard en 2018 pour créer sa propre entreprise. Et il y a quelques mois, c’est un autre groupe de développeurs de StarCraft II qui a décidé de développer ensemble leur propre RTS. Le départ de Jeff Kaplan – le concepteur principal d’Overwatch qui a démissionné en avril dernier – reste sûrement l’une des plus grandes pertes pour Blizzard.

Un navire sans gouvernail

Mais où peut-on trouver l’explication de cet exode ? Un des signes avant-coureur réside sûrement dans le calendrier des sorties de la firme. Bien qu’Overwatch ait plus de cinq ans, le jeu de tir reste la dernière sortie de Blizzard à l’heure où nous écrivons ces lignes. Au programme : Diablo Immortal, un jeu free-to-play pour smartphones. À l’époque, cette annonce avait été accueillie par des huées. Les réactions ont été très largement négatives et ont fait chuter les actions d’Activision Blizzard de 7 %. Et il reste toujours à savoir quand apparaîtront les tant attendus Diablo IV et Overwatch 2 : les deux jeux n’ont à ce jour toujours pas de date de sortie. C’est surtout l’avenir de ce dernier qui pose question après le départ de Kaplan, figure de proue du projet.

Activision Blizzard espérait combler ce vide avec la réédition de certains classiques. StarCraft : Remastered et Warcraft III : Reforged en sont le résultat. Si StarCraft fut généralement bien accueilli, la réédition de Warcraft III semble être considérée par les joueurs comme l’un des pires moments dans l’histoire de la franchise. Reforged sort en janvier 2020 : plein de problèmes techniques font leur apparition, et les fonctionnalités promises comme les cutscenes remasterisées, les nouvelles voix off et un système d’échelle en multijoueur ne sont pas présentes. Un article de Bloomberg révèle à l’époque que l’entreprise était au courant de ces failles. Le report n’était plus une option, car Blizzard aurait alors pris le risque de devoir rembourser les précommandes déjà effectuées.

Un autre facteur est l’influence croissante de la culture d’entreprise d’Activision. La décision de l’entreprise de recruter Brian Bulatao, un ancien membre de l’administration Trump décrit comme une brute, fut largement controversée. L’affaire Blitzchung a également montré le studio sous son plus mauvais jour. Après avoir remporté un match dans un tournoi de Hearthstone, le Hongkongais a crié “Libérez Hong Kong” pendant une interview. Activision Blizzard a réagi en bannissant le joueur pour un an et en lui retirant son prix. Après de multiples protestations de la communauté, la décision fut (partiellement) annulée, mais le mal était déjà fait.

Sur le plan financier, Activision Blizzard connaît également des temps de plus en plus difficiles. En 2019, près de 800 personnes sont licenciées, soit environ 8 % de l’entreprise. La branche esports a été la plus grande victime. Et à ce problème, la pandémie n’a rien arrangé : en mars dernier, 50 autres employés de cette division sont remerciés. Du côté de l’audience, on peut aussi dire que les derniers chiffres de l’Oberwatch League sont plutôt décevants. Les audiences des grandes finales de 2020 ont chuté de plus de 60 %, par rapport à celles de 2019. Au sein de l’entreprise règne également une frustration croissante à l’égard des bas salaires et des primes réduites des employés. Des chiffres qui contrastent fortement avec la rémunération du PDG Bobby Kotick, qui a gagné plus de 30 millions de dollars pour la seule année 2019.

Le procès pour harcèlement sexuel et discrimination ajoute une nouvelle dimension aux problèmes auxquels Blizzard est confronté depuis maintenant plusieurs années. Ce n’est donc pas la première fois que le promoteur se retrouve en eaux troubles. Mais avec ce procès, peut-on dire que la société prend-elle totalement l’eau ? La société trouvera-t-elle un moyen de combler les lacunes, ou le navire de Blizzard est-il condamné ?

Copyright visuel: Wikimedia Commons

Regardez tout ce que vous aimez, où et quand vous voulez.

Découvrez Pickx Se connecter

Top

Attention : regarder la télévision peut freiner le développement des enfants de moins de 3 ans, même lorsqu’il s’agit de programmes qui s’adressent spécifiquement à eux. Plusieurs troubles du développement ont été scientifiquement observés tels que passivité, retards de langage, agitation, troubles du sommeil, troubles de la concentration et dépendance aux écrans

Top