Interview de Germinal Roaux, réalisateur de "Fortuna"

Cinéma | Présenté au FIFF 2018 à Namur, le film de Germinal Roaux, "Fortuna", s’est imposé comme une œuvre puissante sur l’exil. Ce film poétique pose un regard humaniste sur la question des migrants. Nous avons rencontré le réalisateur suisse Germinal Roaux à Namur pour parler de son long-métrage. "Fortuna" sort le 2 janvier au cinéma.

Interview de V. Nimal pour Proximus TV.

De Pickx

Partager cet article

Fortuna, une Ethiopienne de 14 ans, est accueillie avec d’autres réfugiés par une communauté catholique dans un monastère des Alpes suisses. Elle y rencontre Kabir, un Africain dont elle tombe amoureuse. C’est l’hiver et à mesure que la neige recouvre les sommets, le monastère devient leur refuge mais aussi le théâtre d’événements qui ébranlent la vie paisible des chanoines (interprétés par Bruno Ganz et Yoann Blanc, le héros de "La Trêve"). Ceux-ci vont-ils renoncer à leur tradition d’hospitalité ? Parviendront-ils à guider Fortuna vers sa nouvelle vie ?

Filmant en noir et blanc l’histoire de cette migrante perdue dans l’immensité alpine, Germinal Roaux réalise une œuvre épurée, d’une grande beauté. "Fortuna" a remporté deux prix dans la catégorie 14plus de la section Génération lors de la Berlinale 2018 : l'Ours de cristal pour le meilleur film, ainsi que le grand prix du jury international.

Naissance d'une actrice

- Votre film repose sur les épaules d’une jeune Ethiopienne, Kidist Siyum Beza. Comment avez-vous préparé le tournage avec cette adolescente sans expérience?

Nous nous sommes rencontrés pendant le casting à Addis-Abeba. Tout de suite, j’ai compris que Kidist est le personnage de "Fortuna", dans sa nature profonde et dans sa foi de chrétienne orthodoxe. Je voulais établir une relation de confiance très forte pour que le tournage éprouvant, dans la neige, à plus de 2000 m d’altitude avec toute une équipe, se passe bien et que Kidist puisse se lâcher. Cette jeune fille ne joue pas, elle vit les scènes intensément. Son rôle est dur, c’était très fatigant pour elle. On a fait beaucoup d’exercices de théâtre, face à face, pour s’apprivoiser.

Kidist Siyum

- Kidist Siyum avait-elle déjà tourné au cinéma ?
Dans le film « Lamb », de Yared Zeleke, elle avait un petit rôle. Elle ne m’avait pas particulièrement marqué. En la rencontrant à Adis Adeba, en discutant avec elle, elle m’a convaincue. Ma compagne, qui travaille dans le milieu de l’alphabétisation pour les réfugiés à Lausanne, l’a entrainée à prononcer ses dialogues en français.

Les thématiques de "Fortuna"

- "Fortuna" s'inscrit au coeur de lactualité et pose des questions sur l’immigration. Vous vivez à Laussanne. Comment vivez-vous cette question ?
Ce qui me pèse, c’est le sentiment d’impuissance. Depuis quatre ans, les médias parlent beaucoup des morts en Méditerranée, de la difficulté d’ouvrir nos portes aux réfugiés. Je me suis demandé ce que je pouvais faire ? J’avais l’impression qu’avec mes outils de cinéma, j’avais quelque chose à dire sur les migrants.

- "Fortuna" creuse aussi la question du choix.
Mon souci est de rendre le spectateur actif, de lui donner un rôle, de l’inviter à réfléchir sur des questions essentielles de notre condition humaine. Je suis allé gratter en moi des questions que je me posais depuis longtemps : peut-on imposer notre vision à l’autre ? J’écris comme un peintre, par touches, je prends des notes dans des carnets, des bribes de conversation que j’entends dans le tram…

Autodidacte

- Vos images, votre cadre sont extrêmement travaillés. Quelle formation avez-vous ?
Je suis autodidacte. A douze ans, je me suis mis à la photographie en noir et blanc. Au départ parce que je pouvais développer les négatifs moi-même, c’était créatif de pouvoir fabriquer une image. Après, comme j’avais le goût de la rencontre, j’ai travaillé comme photographe de presse. J’avais toujours l’envie de faire des films, mais je n'avais ni relation, ni producteur. J’ai commencé seul, à réaliser un documentaire. Ce film a été pris dans des festivals, puis j’ai rencontré un producteur.

- Quel est le film qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
Le film de Wim Wenders, "Les ailes du désir", m’a beaucoup impressionné. Ce poème magnifique, je n’avais jamais vu cela avant. Les anges qui peuvent entendre la souffrance du monde et survolent Berlin... J’ai réalisé que le cinéma permet de prendre de la hauteur, de nous questionner à un niveau inouï.

Noir et blanc

- Tourner en noir et blanc, c'est un acte de résistance ?
C’est un combat à chaque fois, que ce soit face à la production ou aux chaines de télévision, on tente de me dissuader. Pour moi, ce n’est pas un choix esthétique, c’est beaucoup plus profond que ça : le noir et blanc est une langue, j’écris le scénario pour le noir et blanc. J’écris avec les images. Mais je ne saurais pas comment composer une image en couleur…

Devenir femme

- Votre personnage, Fortuna, est une enfant qui devient soudainement adulte. Face aux difficultés qu’elle traverse, elle se raccroche à la magie, une sorte d’animisme.
Oui, elle se raccroche à la force de la nature sous toutes ses formes. Fortuna dit : « le printemps revient toujours. » Après la nuit, la lumière revient. Elle est ancrée dans une réalité de cycles, celui de la lune, du soleil… Dans son rapport à la vie et à la mort, Fortuna démontre une maturité étonnante. Elle devient une femme.

Religion et spiritualité

- Votre film a un côté contemplatif. Peut-on parler de religion ou de spiritualité ?
Ce n'est pas un film religieux. Je ne suis pas religieux, mais profondément attaché à la question spirituelle. Nos sociétés occidentales ont perdu cette notion de spiritualité. Le pragmatisme et la réalité matérielle ont pris tellement de place. Quelque chose nous manque. On ne prend plus le temps de contempler. Parfois, je me force à m’arrêter, dans une forêt, à regarder. Je continue à me questionner sur la condition humaine.

Dans mon film, je voulais ouvrir la contemplation sans qu’elle pèse, qu’elle invite à la réflexion. J’ai écrit quelques dialogues forts, pour qu’ils puissent résonner en nous. Dans le cinéma aujourd’hui, nous sommes otages du rythme, qui provoque une intensité mais ne laisse aucune place à la réflexion. On sort souvent d’un film ou d’une série qu’on oublie vite. Qu’est-ce qui nous reste de dizaines d’épisodes visionnés ? Alors que dans certains films, épurés et contemplatifs, il ne se passe quasiment rien : ce rien, on le remplit.
La fin de mon film reste ouverte aux questions. Chacun comprendra ce qu’il veut, l’un et l’autre interprétant des signes différents en fonction d’une différence d’approche…

"Fortuna" de Germinal Roaux, avec Bruno Ganz, Kidist Siyum, Patrick D'Assumçao et Yoann Blanc.
Une production VEGA Production, SRG SSR, RTS, NEED Productions et Proximus.
En salles le 2 janvier 2019.

Regardez tout ce que vous aimez, où et quand vous voulez.

Découvrez Pickx Se connecter

Top

Attention : regarder la télévision peut freiner le développement des enfants de moins de 3 ans, même lorsqu’il s’agit de programmes qui s’adressent spécifiquement à eux. Plusieurs troubles du développement ont été scientifiquement observés tels que passivité, retards de langage, agitation, troubles du sommeil, troubles de la concentration et dépendance aux écrans

Top